Comment regarder cette oeuvre de façon à ne plus la voir

  1. Asseyez-vous précautionneusement, sans déplacer la chaise. Si vous êtes de petite taille, une épaisseur supplémentaire pour vous rehausser pourrait vous être utile.
  2. Fermez l’oeil gauche et fixez la Grande Saline au point pointé ci-bas (plus précisément au coin inférieur gauche du bâtiment au toit vert, au croisement du sol et de la clôture en avant-plan).img_0344
  3. Ajustez votre position dans tous les axes pour rechercher le bon alignement: avancez et reculez la tête, baissez et montez-la, balancez-la d’un côté à l’autre. Toujours en fixant uniquement la Grande Saline avec votre oeil droit, continuez l’ajustement jusqu’à concordance parfaite. Les différents cadres s’aligneront les uns aux autres jusqu’à former un tout.
  4. Lorsque parfaitement positionné, toujours en fixant précisément ce point avec votre œil droit… vous verrez peu à peu disparaître l’ensemble des tissus sur les grillages!

Comment faire pour retrouver l’oeuvre sous vos yeux?

Demandez à quelqu’un de passer dans le décor! Mais aussi zélés soyez-vous, vous n’arriverez jamais à voir la tache rouge vif sur le côté, tant et aussi longtemps que vous fixerez la Grande Saline avec votre oeil droit! Comme quoi, en adoptant un point de vue, on adopte toujours, du même coup, un angle mort!

Le problème du paysagiste

À ceux qui nous demandent « Pourquoi faites-vous ça les après-midi? On travaille, nous autres! » on pourrait répondre « Nous aussi! » 😉 Mais il faut d’abord comprendre qu’il ne s’agit pas d’un choix social, mais bien d’une contrainte technique.

Qu’il s’agisse des peintres anciens ou des paysageologues contemporains, on se frotte tous au même problème: l’éclairage variable de la nature.

Ainsi, en tentant de reproduire fidèlement ce qui est devant soi à l’aide d’une technique manuelle lente, on assiste inévitablement à un changement de décor. Le soleil qui se déplace dans le ciel, c’est un peu comme un joli modèle qui bougerait constamment à chaque séance… pas évident d’en tirer un juste portrait.

La solution, c’est d’encadrer l’affaire: Soleil, tu éclaireras les choses du même bord, car nous visiterons les lieux seulement à heure fixe! Ainsi, nous avons opté pour l’après-midi, ni au zénith, ni au soleil tombant. Mais déjà, entre 14h et 17h, plage horaire de notre confection, on peut observer une grande différence!

Mais surtout, entre une journée grisailleuse et une autre, radieuse, 1000 nuances s’interposent!

Pointe à Fox sous le soleil (image: Marianne Papillon 2018, #Paysageographe)

Aujourd’hui, sur ma palette, il me manquait les couleurs ternes correspondant à la grisaille ambiante. Apparemment, la paysageographie est un art qui respire mal sous la menace de la pluie.

On dirait que j’aurais pris quelques après-midis ensoleillés de plus, cette semaine.

On dirait que je voudrais nous inventer un radieux 2@5 qui durerait un plein week-end.

Parce que les artistes sont habitués à œuvrer en rush, sur des heures de fou, de façon interminable. Tandis qu’ici, de fragmenter les portions de travail en plages de 3h de soleil à l’ouest, qui elles-mêmes sont fragmentées par le passage de dignes visiteurs à qui l’on cède le siège de l’œil avec grand plaisir, c’est un rythme qui détonne et auquel il nous faut apprendre à s’ajuster. Car, pour reproduire un paysage in situ, impossible de rattraper le retard aux petites heures de la nuit…

En rétrospective, ce ne sont peut-être pas tant les artistes qui tracent leur perception du décor sur le Paysageographe, mais plutôt le Paysageographe qui imprime le tempo des lieux sur ses créateurs.

Pointe à Fox sous un ciel menaçant (image: Marianne Papillon 2018, #Paysageographe)